Là-haut sur les crêtes - Ballon d'Alsace 2000

Publié le par arunninglife.over-blog.com

Un marathon c'est long.

 

Mais long comment...

 

Très long.

 

Très très long.

 

Et un marathon sur des sentiers de randonnée.

 

C'est comment ?

 

Encore plus long...

 

Et lent, et on n'avance pas, et on est seul, presque perdu dans les bois tout le temps, on émerge trois fois sur une crête et on replonge dans le bois, on saute les ruisseaux, les 10 000 cailloux, on glisse parfois, on enfonce dans la mélasse, on court au milieu d'un pré avec ses vaches, écoute le son de leurs grosses cloches, parfois on s'arrête, on regarde en bas, tiens un lac, le lac des Perches, il est beau le lac, et là-bas, dans la vallée, ces beaux petits villages. On croise un gars pas l'air plus souffrant que cela, nonchalamment assis sur un rocher, et bien le gars on apprend cinq minutes après, qu'il a la cheville cassée, une petite glissade et hop, la course est finie. On regarde sa montre, on croit qu'elle ment. Non, ce n'est pas possible, seulement. La première tranche de gâteau (8 parts de 5 km et une demi portion pour finir), on l'a avalée en 43', ce

n'est ni de la vitesse, ni rien, on a monté 3 bornes à presque 20% passant de 600m à plus de 1200. Ensuite on a failli se planter dans la descente raide, trois gus nous ont doublé, mais on s'en fout, parce qu'on est là pour finir, pas pour jouer la place et encore moins la montre. On regarde quand même le chrono au 10, et on se dit, non c'est pas possible, 1h22 pour dix bornes et pourtant on ne fait pas semblant, on court quand on peut, on saute les cailloux, et on a déjà mal aux cuisses...

 

Km 11 (virtuel car les seules choses matérielles ici sont les arbres et les cailloux), un méchant point sur le haut de la cuisse, impossible de courir quand la pente se fait trop forte, l'arrivée est tellement loin en km et en temps que je n'y pense même pas, alors je souffle, j'essaye de faire passer le flux d'oxygène sur la douleur. Tiens voilà déjà... le panneau du 15 perdu entre deux arbres. A peine 2h01 de course... J'ai beau courir, impossible de descendre sous les 7' au km. Je monte, je descend, je saute, j'attrape un arbre d'une main, je pose la main sur un rocher, je monte quelques marches. Au ravitaillement, je m'éternise, discute avec les courageux volontaires qui ont marché une heure, avec chaises et tables pliantes sur le dos pour bâtir un poste de fortune au milieu de rien, dans un no-name checkpoint. Un gars m'a prévenu, le plus dur est à venir. Je n'imagine pas, nous sommes déjà si lent. Les crêtes se noient de brume, je transpire peu, il fait presque froid, le chemin est sous l'eau et les pierres encore plus glissantes. Tiens le panneau du 20, presque la mi-course, et déjà 2h38 dans les jambes et toujours cette douleur à la cuisse. Le plus dur arrive. Je tords mes runnings dans tous les sens, les lights de chez Asics, ça accroche sur du terrain glissant, mais ici, nous sommes dans le domaine du trail et mes ultra-lights souffrent beaucoup, mais Dieu que je suis à l'aise dedans. Les ampoules, je n'y pense même pas, et ça marche. Je n'y penserai pas une seule fois, et résultat mes pieds termineront comme ils avaient commencé. Je grimpe des marches de 50 cm, traverse des petits pierriers bien glissants. Les randonneurs eux sont à l'aise dans leurs grosses godasses, ils m'applaudissent. Je leur réponds, j'ai à peine fait la moitié. Mais ici le temps et les kilomètres, ça ne comptent pas. Je fais de la randonnée en courant, le regard, quand il peut, porté sur les vallées. Et je suis seul, et depuis longtemps, parfois sans repère, ni fanion rouge, ni banderole Crédit Mutuel, devant j'entrevois parfois un gars en blanc à deux minutes, derrière deux autres aussi à 2 minutes. Mais ici au milieu des bois, les arbres masquent tout et les occasions de voir "du monde" sont rares. Et le ballon d'Alsace qui marque la fin des difficultés ? Toujours rien en vu. Il y a belle lurette que je n'ai vu panneau ou ravitaillement. Le temps passe, mon compteur reste ... et restera, à zéro chute. C'est l'essentiel, et ma cuisse, elle résiste, le mal est stationnaire. Je me masse en courant (trottinant ?). J'entends du bruit, tiens de la vie. Pire même des voitures, un panneau, La Chaumière. Un autre, ravitaillement 100m. J'arrive tranquillement, discute tout en mangeant des figues et sirotant trois verres d'Isostar. Km 23, à peine, le premier a déjà fini (et depuis 10'). Ca fait 3h17, que j'erre sur les chemins. Ca doit bien faire trois minutes que je glande au ravito, le

temps ne me presse pas, mon moral est au beau fixe, rien ne m'arrêtera aujourd'hui. Un peloton de presque 6 personnes arrivent, il est temps pour moi de partir. Je me fixe un objectif pour les 19 derniers km, remonter 10 coureurs. Sacré challenge, car devant moi, il n'y a personne à moins de 4 minutes. Mais que sont 4' sur une distance pareille. Le chemin est beaucoup plus large, une véritable autoroute, mais la pente toujours montante, et ma cuisse ne veut plus, je grimace. J'aperçois mon prédécesseur, à au moins 600m. Km 25, tout seul, personne à l'horizon, ni devant, ni derrière. J'ai perdu du terrain dans la côte. Le parcours s'enfonce en sous-bois, beaucoup plus roulant (normal ça descend...). Un nouveau ravitaillement, enfin ça fait plus de 4h, mais bon, un poste toutes les demi-heures, ça paraît beaucoup dans ce désert. Ca y est, j'en vois deux, je vais les manger. J'expédie le ravitaillement très motivé par l'idée de doubler quelqu'un. Le premier se traîne, jamais vu, ce gars est à la dérive, il finira sans doute loin derrière. Je le passe sans m'attarder, le second est une connaissance, un compagnon éphémère du km 12. Lui aussi, je le laisse derrière très vite. 7 km, deux dépassements, maigre, mon pari a-t-il vécu ? Un marathon, c'est long et c'est maintenant que tout se joue. Descente dangereuse, deux autres devant qui sautillent de cailloux en cailloux. A la sortie de ce brise-cheville, je suis sur leurs talons, enfin façon de parler, ici ce n'est pas le Grand Prix de Monaco, je n'attends pas le freinage pour doubler...

Mes pensées divaguent vers le mur du 35ème. Le beau mur, bien construit par

tous les bouquins. Ici, dans la planète trail, à la frontière de l'ultra, on parle de gestion musculaire, le souffle importe peu. Ce n'est pas le cœur qui bat, ce sont les muscles qui souffrent. Je ne pense pas avoir une seule fois dépassé les 135 pulses pendant cette longue balade. Ca descend et je rattrape plusieurs concurrents un peu à la dérive, un panneau planté dans la boue indique 36, c'est fini, jusqu'au bout, de la descente. Surtout ne pas se faire mal aux genoux, le dernier ravitaillement à 5600m de l'arrivée. J'en ai doublé 9, et devant j'aperçois le dixième. Mes jambes sont fluides, ma cuisse endormie, pas de douleur en descente. Ca faisait longtemps que je n'avais pas été aussi à l'aise dans les 6 derniers. Km 39, quel pied, 3km en 15', j'ai l'impression de revivre, de me détendre en allongeant la foulée sur le sable du chemin. Passage de cailloux, km 40, puis une nouvelle portion plus pentue, peu éclairée, en deux mots casse-gueule, je passe presque au pas, inutile de risquer la chute après 5 heures de course.  Le goudron enfin, 1000m, autant dire, rien. 500m, pas un chat dans les rues, difficile de se croire si près de l'arrivée. Céline est là avec Choupie, je lui fait signe de couper pour me rejoindre à 50m de l'arrivée. Je m'arrête, dénoue mon Raidlight (le kway du traileur) qui ne m'aura pas servi, retire ma casquette, jette mon tube de compote, je prends Choupie dans mes bras et tranquillement comme quelqu'un qui sort de chez lui pour chercher son pain, marche vers la ligne. Je pose Dorine devant la ligne et l'aide à la franchir. Bravo, t'as gagné Choupie, t'es le premier bébé de 11 mois à passer la ligne d'arrivée du marathon du Ballon d'Alsace. Le préposé lui met une jolie médaille bien méritée autour du cou. Elle ne s'en souviendra jamais, mais Céline et moi, on s'en souviendra pour elle. Un grand moment le jour de son premier accident, une chute de poussette qui lui a éraflé son petit nez et bleuit son menton. Et le marathon, il est derrière moi, les 1200 m positif et les 1500 m négatifs aussi. Je bois tranquillement un verre d'eau en grignotant quelques raisins. 5h19, les secondes, je n'en ai aucune idée, je n'ai pas stoppé mon chrono. Qu'importe, l'essentiel était de finir et de profiter du paysage. C'est dur le trail, je ne crois pas que je reviendrais ici, ce type d'épreuve, on ne le fait qu'une fois, c'est une course découverte pas un combat contre le chronomètre. Alors finalement, j'en ai doublé combien depuis le km 23 ? 13 ! Combien m'ont doublé ? Aucun. Le petit peloton entrevu au km 23, je ne le verrai pas dans le quart d'heure qui suivra mon arrivée. Une dernière théorie, sur ce type de course, on fait une heure de plus minimum qu'à un marathon en plaine. C'est beau les théories. Moi j'ai fait deux heures de plus et ... je m'en fous, je suis content, j'étais bien tout le temps, à part la cuisse, j'étais super bien. J'ai adoré le parcours, me demandant parfois ce que venaient faire des coureurs sur des chemins aussi glissants mais d'un autre côté, je me suis dit, et courir sur le goudron dans un monde bétonné et pollué, c'est vraiment ça le sport, la santé ? Je retiendrai le son des cloches des églises, le regard incrédule des vaches, leurs ding-dong, et les belles images des crêtes noyées de brumes.

 

Pour le détail : nous étions 230 au départ, il n'y avait pas de voiture balai mais un homme balai, c'était mon 27ème marathon, je termine 180 / 211, 19 ayant renoncé en chemin.


Publié dans Course à pied

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