La Bouillonnante, deux fois - 2009/2010

Publié le par arunninglife.over-blog.com

L’objectif de l’année, c’est la terrifiante Bouillonnante à Bouillon. 50 km et 2500+ de dénivelée. Pour moi un Everest, il y a moins de dénivelée qu’à la 6000D (3050 +) mais le parcours étant une succession de montées longues et raides et de descentes techniques, dès le départ, je sens que terminer dans les délais sera un challenge presque insurmontable. Heureusement, il n’y a qu’une seule porte couperet au km12, qu’il faut passer en moins de 2h. Bouchons dans les premiers kilomètres, car nous sommes 1000 coureurs à nous engouffrer dans les sous-bois. Les montées sont dantesques, on monte parfois à quatre pattes. J’atteins néanmoins sans difficulté le km12 en 1h50. C’est là que la machine à calculer se met en route… Ma moyenne est à peine supérieure à 6 km/h, et pour être classé il faut courir à 6.25 km/h…. En résumé, je suis déjà assuré d’être hors délai, quand j’arriverai (si j’arrive…), la ligne d’arrivée n’existera plus. Dans ma tête cela ne change pas grand-chose, je cours les trails pour le plaisir, pas pour un quelconque objectif chronométrique. Au second point de ravitaillement que je passe après plus de 3h45 de course, km 22, il faut beau, je me sens bien mais je n’avance pas, le terrain est gras et il m’est impossible de dépasser un rythme de 6.5 km/h. Je téléphone à Céline qui me supporte pour la journée (m’estimant incapable de conduire après une telle épreuve, je lui ai demandé d’assurer la logistique) et lui signale que ma probabilité d’arriver en moins de 5h30 au km38 (ravitaillement 3) est des plus faibles. Le parcours est joli, je cours seul, car sur un trail, il m’est impossible d’accorder mon rythme à un autre coureur. Trop lent, ou trop vite selon le terrain. Mes genoux sont protégés par des genouillères très serrés sur les conseils de mon docteur.

Je marche seul, sans la vie, sans personne, je marche seul. Je suis seul au monde, enfin au milieu des bois. Je rattrape quelques coureurs, qui courent vers leur abandon. J’ai doublé Pascal au km33, je crois qu’aujourd’hui, il ne verra pas l’arrivée. Je ne cours plus en fait, je patine dans la boue, j’essaye de rester debout. Le dénivelée commence à faire son œuvre, mon pas se fait de plus en plus lent. Je finis par m’asseoir, c’est là qu’un gars en orange me rattrape et reste à côté de moi. Je mets quelques secondes à comprendre car cette situation est nouvelle pour moi. Nous sommes en avril 2009, je viens pour la première fois de ma vie d’être rattrapé par … l’homme-balai. Pour qui sonne le glas. La grande faucheuse est arrivée, la fin de mes illusions. J’ai couru 30 ans pour en arriver là. Je suis assis sur un rocher avec l’esprit vide, enfin j’ai surtout ma glycémie à zéro, je mange, enfin j’engloutis ma dernière barre de céréales, j’avais très largement sous-estimé la quantité de barres à emporter. Cet apport de sucres me redonne un peu d’espoir. Enfin l’espoir de pouvoir rallier le point kilométrique 38 qui marquera sans doute la fin de l’aventure pour moi. Je sors des bois comme le loup après un long hiver, cela fait des heures que j’erre au milieu des arbres… Le dernier kilomètre, car pour moi, je crains que ce ne soit le dernier, est facile, du plat sur un chemin presque goudronné. Je trottine et distance mon suiveur balai. Au ravitaillement, Céline est présente, … prête à m’embarquer avec les autres en perdition du moment. Je bois du coca, beaucoup de coca, je me sens beaucoup mieux. Je discute avec l’organisation, ils sentent bien que j’ai envie de terminer et que je parai en avoir les moyens, car je ne souffre de rien en fait. Une hypoglycémie passagère, après … 6h20 d’efforts. Nous convenons d’un deal, si dans cinq minutes je peux repartir, ils m’autorisent à reprendre ma route juste avant les débaliseurs. Je mange du chocolat…. Que c’est bon, ça chatouille jusqu’aux doigts de pied. Les cinq minutes sont passées, il me faut m’éclipser sous peine de m’asseoir dans ma voiture. Je donne rendez-vous à Céline sur la ligne d’arrivée dans … quelques heures, disons au moins 2h30. Il me reste 12 km, les kilomètres les plus difficiles. Il est 16h30, le temps vire au gris, qu’importe je passe le pont et j’attaque le mur du km39, plein d’énergie, avec une barre dans le dos. Je mets quelque temps à comprendre… Céline a rempli à la pause mon Camelback avec du coca. Le coca est gazeux et en courant, je le secoue transformant mon Camel en bloc… J’en vide un bon quart, je me sens mieux, finie la barre dans le dos. Je monte, je redescends… La pente n’est pas raide, elle est verticale, je n’arrive pas à grimper. J’escalade, je plante les pieds comme dans une pente de neige, je m’agrippe aux racines, aux arbres, aux touffes d’herbe, aux … ronces, aie… Je gagne mètre par mètre, centimètre par centimètre. Mon cœur s’emballe, ce n’est plus du trail mais de la montagne, je fais du cardio après 7h de route. Je suis à fond, je m’arrête pour souffler, c’est quoi ce kilomètre d’enfer ? Cela me rappelle le trail du Soulor dans les Pyrénées, une pente de boue à plus de 35°. Je voulais voir la fin de la Bouillonnante, son parcours d’échelle, ses descentes vertigineuses, je suis servi. Enfin j’arrive au sommet de cette butte, un panneau, « Attention chemin des échelles, dangereux, personnes sujettes au vertige, prière de faire demi-tour ». J’ai adoré, je me suis senti soudain comme un poisson dans l’eau, une piste noire de trail, vertical, casse-gueule. Comme en trek dans des zones loin de tout chemin, des racines partout, cela me rappelle un terrible col en Patagonie. Des rochers, des échelles à monter, descendre, la totale. Plus aucun rapport avec la course à pied. Le montagnard que je suis devenu avec le temps se sent revivre, je m’éclate. J’ai complètement oublié mon coup de blues du km36. Le rythme au kilomètre, 20’ ? 25’, je n’en sais rien, ici dans cette zone isolée, la notion même de kilomètre n’est pas. J’avance, un point c’est tout. Au pied de la descente, un long parcours dans une zone très humide, je slalome au milieu des arbres soucieux de ne pas perdre le chemin, si je rate une balise, on me retrouvera… demain. J’ai lâché depuis longtemps le groupe de débaliseurs, je suis seul, complètement seul. Le temps est devenu très subjectif, n’étant nulle part, la seule chose qui me préoccupe, c’est ne pas me perdre et arriver avant … la nuit. Un ravitaillement impromptu me permet de me situer par rapport à l’arrivée. Il me reste plus de 4km et une très grosse difficulté à surmonter encore, le Belvédère. Je téléphone à Céline pour lui dire que je suis quelque part entre là et là-haut. C’est beau, c’est vert, le ciel vire au noir. Je crois qu’elle s’inquiète… Une fois de plus je l’ai emmené dans une galère, c’est normal, si j’estime ne pas être capable de conduire, je ne vais sûrement pas finir le sourire aux lèvres, la mine fraîche. Elle avait tremblée à la 6000D et m’avait dit que pour elle aussi ce serait plus jamais. Si j’ai envie de faire une course, quelle qu’en soit la difficulté, je devrai la gérer seul. Mais aujourd’hui exceptionnellement eu égard à mon cinquantenaire…, elle est présente. La pluie se met à tomber, je n’en ai cure, je suis un petit cours d’eau qui serpente à l’ombre des arbres. Le trail c’est bucolique pendant 20 à 30 km, passée la 4ème ou 5ème heure, quand le coureur se demande ce qu’il fait là, pourquoi il s’obstine dans ce monde absurde. L’absurdité commence je crois là où le plaisir disparaît, là où l’énergie fait défaut. L’absurdité commence quand l’on se dit, qu’après on sera fier du chemin parcouru. Pour l’instant, je suis sur ce chemin qui grimpe vers le belvédère, la pente est de plus en plus forte, j’en ai… marre, marre, marre. Que cela s’arrête, je ne recommencerai plus, promis, juré, je vais en enfer. J’y suis en enfer, dans l’enfer vert. J’arrive au belvédère, quelle vue, c’est magnifique, je vois le château si près, mais encore si loin. La descente est raide mais facile, pas du tout technique, pas piégeuse, un boulevard. Il y a bien longtemps que je n’ai couru… Je rallie l’arrivée pour donner le mot juste. Ca y est un nouveau cours d’eau (enfin sans doute le même mais une bosse plus loin), les premières maisons de Bouillon, je ne vois plus de balise, je prends à gauche, j’arrive devant une écluse. Ca ne passe pas, je reviens sur mes pas… Dernier coup de fil à Céline pour lui dire que j’en ai plus que marre et que je suis dans le néant sans balise visible. Enfin j’arrive sur un … magnifique petit pont de pierre. Le genre pont du moyen-âge à mettre sur une carte postale. C’est réellement beau, comme la ville de Bouillon, mais de tout cela, je n’en ai cure, j’aimerai que mes jambes arrêtent de bouger, et j’aimerai m’asseoir, me coucher, ne plus penser à rien. Céline est là contente de me voir, enfin pour être honnête, effondrée, en pleurs. Il n’y a pas mort d’homme, ce n’est qu’un chemin sans fin. Le dernier cadeau des organisateurs, les marches pour monter au château… Enfin ce ne sont que quelques marches, oui mais des Panzani… Je m’égare, je dis n’importe quoi, ma tête est vide, mes jambes lasses. Je débouche près du chapiteau. La ligne d’arrivée a disparu, il est 19h38, j’ai mis 9h38. Un tout petit comité d’accueil m’applaudit, tout est déjà rangé, il n’y a même plus un banc pour s’asseoir. L’organisateur s’enquiert de ma dernière volonté… Une petite barre de céréales, un petit Powerbar, un verre d’eau glucosée…. Non, merci, une bière locale, je préfère. Excusez-moi, j’en ai oublié le nom, mais c’était bon, tellement bon. Je ne souffre pas, je n’ai pas mal aux genoux, merci à l’eau de Mondorf, merci à mes genouillères, je suis exténué. La Bouillonnante, deux fois, la première et la dernière.

 

Pascal comme prévu a quitté la course peu après le km33.

 

Encore un pari débile que je ne tiendrai pas. Le dicton dit « on revient toujours sur le théâtre de ses exploits ». L’exploit ne doit pas avoir la même signification pour moi, car aujourd’hui, je n’ai pas la sensation d’avoir réalisé un exploit. J’ai fini hors délai (de 1h38), dans un gruppeto composé d’un coureur, … moi. J’ai terminé l’un des trails les plus difficiles, dernier. La conclusion s’impose, ce type d’épreuve n’est pas, n’est plus moi. Trop long, trop dur.

 

2010

 

 

Devant moi, le mur de Bouillon.

 

N’avais-je point dit plus jamais…

 

J’avais le choix entre un trail de 42 km près de Sedan et Bouillon. J’ai opté pour l’extrême difficulté, d’autant que cette année pour corser si besoin en était le parcours, il avait rajouté une barrière au km 38, 5h45 et en sus modifié le parcours en y rajoutant 50m +. Pour moi le challenge tient de l’impossible, je suis reparti du km38 en 6h30 l’an passé… De plus il faudra passer un quart d’heure plus vite au km12, 1h45 au lieu de 2h. Temps qui se gagne surtout par les départs différés entre les 25 et les 50 km. Qu’importe, si je suis éliminé et c’est presque certain, j’aurai couru plus de 6h au km 38…

Surprise au départ de la course, l’organisateur nous annonce que la barrière n’est pas au km 38 mais au km 40 et le parcours passe à 52 km. Il profite de son discours pour signaler que les barrières ont été mises afin d’éviter que des coureurs n’arrivent en plus de 8h… En quoi, cela peut-il perturber l’organisation, 8h de course, ça nous amène à 17h30 (plus de 2h avant l'obscurité)… Bien des trails se courent la nuit ou se finissent très tard. Pour moi, c’est mission impossible. Je révise mes chronos et préviens Céline que je pars pour le challenge du siècle. Effectivement au km12, j’ai 20’ d’avance sur 2009… Je continue, je force mon naturel, au km 22, j’ai plus de 40’ d’avance, je dois gagner une heure pour ne pas être éliminé. Pour ne pas subir cet affront pour la première fois de ma vie. J’avoue surtout gagner ce temps par la configuration du terrain, l’an passé, ce n’était que boues, là, tout est sec ou presque, l’adhérence est parfaite. Il est clair néanmoins que mon rythme est supérieur et surtout que je cours … trop vite. Au km 30, j’ai plus d’une heure d’avance sur 2009. Km 35, je suis couché par terre, je n’en peux plus, je n’ai plus d’énergie. J’ai vidé mon réservoir, je ne souffre pas d’hypoglycémie, je suis simplement épuisé. Le reste est anecdotique, l’homme-balai me rattrape, m’accompagne un moment et quand les 5h45 de course sont atteints, me signale que je suis éliminé. Lui, il a faim, me laisse sur le bord du chemin et part en courant vers son déjeuner. J’appelle Céline qui a consenti à m’accompagner et lui signale que la course est terminée et que je prends mon temps pour rejoindre le km40. Il fait beau, je prends un bain de soleil sur le chemin et après 20’, je repars. Près du portique (km 40), je déguste une bière en regardant les concurrents monter dans les voitures. Plus du quart des participants seront éliminés et presque autant non classés. Pascal, passé en 5h38 au km 40, finira largement hors délai en plus de 9h10…

J’ai failli écrire à l’organisateur suite à la proclamation des résultats. 55% des partants classés. C’est ridicule. On se défonce pendant toute une journée, on se prépare pendant des mois pour se faire éliminer par des organisateurs qui déguisent leur trail en course contre la montre. N’oublions pas qu’il n’y a pas de touriste sur des trails, nous ne sommes des pros de la course à pied, nous avons tous l’habitude de gérer des courses longues en autonomie. Je comprends que sur des 100 km en montagne, on fixe des barrières horaires, car il y a des risques. Ici on court dans la forêt, il n’y a pas d’ours, pas de précipices, on risque tout au plus une entorse, le téléphone passe bien… Enfin sans regret, j’aurai eu le mérite d’essayer même si la cause était entendue au départ. Une certitude, je ne reviendrai pas, les courses de plus de 50 km avec barrières horaires ne m’intéressent pas, ce n’est pas ma philosophie du trail.

Bouillon, deuxième et dernière.

 

 

Publié dans Course à pied

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